vendredi 13 avril 2012

Cloclo, plus incompris que mal-aimé...

Je n'aime pas Claude François. Pourtant son destin est lié au mien depuis toujours : il est mort quand je suis né. J'ai essayé de chanter en me pinçant le nez, d'engager des claudettes et de faire des pas de danse alambiqués. Et j'ai eu là la preuve que je n'étais assurément pas sa réincarnation. J'ai aimé Le Lundi au soleil grâce à la reprise qu'en ont faite, plutôt récemment, Kerenn Ann et Vincent Delerm. Et j'avoue un faible pour Magnolia forever. Ce côté disco extrêmement prononcé, franchement, c'est presque trop et c'est bon.
Bref.
On a fini par aller voir le film, avec Ck. Le caouic est resté à la maison bouder : Cloclo, alors là non, on lui en demandait trop.



J'avais l'intuition que ça allait être bien. Le battage médiatique là-autour avait bien insisté sur l'absence de concession, sur la présentation du personnage dans l'absolue rigueur de sa tête de con. Et en effet, sa jalousie - mâtinée d'infidélité notoire et continuelle -, ses excès de colère incompréhensibles, ses exigences de diva, ses tocs pesants, tout y est. Et pourtant, au regard de l'histoire qui nous est non pas contée mais expliquée, on comprend. On compatis. On vibre.
Parce que le plus abject dans l'histoire n'est pas Claude mais son père, dictateur obtu et manipulateur, obstiné et humiliant jusqu'à la bêtise crasse. Face à lui, une femme et deux enfants adorateurs, complètement sous le joug de ce gourou qui les maltraite pourtant. Toute la vie de Claude, qui reproduit nombre des travers paternels, s'étire vers le haut pour rendre fier le daron. En vain. Dès lors, tous les excès sont permis, à plus forte raison celui de ne jamais être satisfait, de toujours craindre la chute, la ringardise, l'endormissement sur lauriers.



Pour s'affranchir de cet écueil obligé du show business, Claude invente, inaugure, à coup d'audace et d'inspiration états-unienne. Les claudettes, jamais vu. Des claudettes noires, inédit. Des chorégraphies auxquelles il participe, sans précédent. Absorber les rythmes funk et disco pour développer sa musique, inconnu. Devenir un businessman en achetant un journal, en créant une agence de mode, révolutionnaire. Médiatiser un fils et cacher l'autre à toute la terre, inouï et carrément monstrueux.



Mais avant d'en arriver à cette gloire inquiète, Claude a bouffé son pain noir. A cause de son père, mais aussi de son histoire familiale et de ce retour d'Egypte dans les années 50 après les événements du canal de Suez où travaillait son père. La déchéance, la pauvreté, le déclassement...
Aussi ses comportements excessifs avec les femmes ou les sous-fifres peuvent être sinon justifiés, au moins compris. Il fallait bien un caractère exceptionnel pour tenir tête à un père fasciste domestique, une mère joueuse maladive, des fans omniprésentes (intéressant, son rapport avec elles) et le monde du show business qu'il n'a pas laissé le dévorer. Le tout avec un sens de la mode aigu, mais pas seulement pour suivre la vague : il a été réellement un avant-gardiste. A l'époque des vaches maigres, il harcèle le patron de la maison de disques Philips, convaincu de son talent inconnu. Plus tard, il sait écouter son manager Paul Ledermann qui lui assène de ne pas s'endormir sur son succès confirmé, puis il a la clairvoyance de le virer pour monter sa propre maison de disques. Musicalement, il sait écouter et digérer ce qui vient d'outre-Atlantique, il a d'ailleurs une culture musicale plutôt pointue et assez classique dans la pop. Pas du tout un chanteur à minettes, à l'origine ! Il se défend pendant tout le film de ce sobriquet qui l'agace.



Et - j'adore les anecdotes, dont le film est rempli - pour convaincre Etienne Roda-Gil, estampillé gauche bobo, de lui écrire des paroles de chanson (Magnolia forever), il lui lance : "Continue à écrire des chansons pour les riches, moi je vais continuer à faire rêver les pauvres." Enorme. Il y a aussi l'épisode où il invente au fil de l'eau les paroles de Comme d'habitude, au bord d'une piscine avec deux musiciens près de lui. Comme d'habitude. La chanson qui m'a fait venir les larmes lorsqu'il la chante aux Etats-Unis, devant sa mère et sa soeur. Sa chanson fétiche puisque Sinatra (qui dans le film ressemble beaucoup à  son père) la lui a reprise, ce qui représente pour lui plus que le graal.



Le film ne nous aura pas réconciliés forcément avec la musique de Claude François mais aura eu l'immense mérite, grâce à un scénario béton, des acteurs époustouflants (palme à Jérémie Rénier), une mise en scène soignée et cohérente, de nous faire comprendre le personnage. Un vrai personnage de roman, de cinéma... Avec la bande-son de tout une époque...

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