lundi 26 mars 2012

Des Vies sauvées de l'oubli

Ce sont peut-être les montagnes, collines, couleurs des prés, des orages, des fleurs, ciels changeants qui ont formé l'oeil de Raymond Depardon. On ne présente plus ce grand monsieur de la Photo et du Documentaire, fondateur de l'agence Gamma. Lui qui a pris ses premiers clichés dans la ferme familiale. La Vie moderne - troisième opus de la trilogie Profils paysans - était rediffusée dernièrement sur France 2. Merci le service public. Il s'y met un tout petit peu en scène.



No man is an island : évidemment, s'il va et retourne, dix ans plus tard, à la rencontre des derniers vrais paysans parlant encore l'occitan, sortant leurs brebis plusieurs fois par jour, ou trayant leurs deux pauvres vaches restantes à la main, c'est que ces gens-là détiennent une partie de son identité, de son terroir, de lui-même. Pas la peine de chercher vainement à établir une distance, dès lors. Et il l'explique bien : ce n'est souvent qu'à force de patience qu'il est finalement autorisé à entrer dans ces cuisines aux tables recouvertes de toiles cirées, où le café est bu dans un verre ou un bol, où les cuisinières hors d'âge ne connaissent pas les plats préparés.



On  navigue avec lui de la ferme de deux pépés de 83 et 88 ans, aidés par leur neveu quinqua tout juste marié et, donc, sa femme, rencontrée "par petite annonce" et venue du Pas-de-Calais avec ses enfants. Ça coince entre les générations. Le plus vieux pépé est le plus borné de tous, mais à mesure du film, on le voit presque s'éteindre doucement, ses forces le quittant. Et c'est infiniment triste.



Il y a ce couple de paysans : lui est bourru (comme la plupart) et elle scrute la caméra avec un sourire un peu idiot. Elle sert le café, propose des galettes. Ils n'ont plus que deux vaches et autant de chèvres, qu'ils cèderont à la fin du film. C'est trop d'efforts, trop de soucis pour deux natifs des montagnes qui ont travaillé bien au-delà du légal.



Il y a aussi cette jeune femme, mariée et mère de deux enfants, dont l'époux, fils de paysan, travaille dans les travaux publics. C'est elle qui veut élever des brebis. L'espoir allume ses yeux. Mais tout est éteint à la fin du film, là aussi. Trop de charges, trop de travaux à faire, en plus de la maison à rembourser, de la famille à faire vivre et du terrain à acquérir.



Il y a ce couple aux visages burinés si bons, et leur fils Daniel, le dernier-né, seul à être rester les aider sur la ferme, lui qui aurait voulu tout faire sauf cela...



Il y a aussi et surtout, c'est un minuscule plan dans le film, cette visite hors du temps, presque extraterrestre, à Paul, un paysan solitaire. Dire que celui-là est un taiseux est encore bien loin de la vérité. Seules les femmes parlent un peu plus volontiers dans ce film, tandis que les messieurs répondent laconiquement aux questions que Depardon leur pose. Mais ce Paul-là, il est au-delà du mutisme. La caméra est, suppose-t-on, posée sur la télé qui diffuse la messe d'inhumation de l'abbé Pierre. Paul est là devant, immobile, ses cheveux de hippie rider autour de sa tête, ses yeux inexpressifs (quoique), sa toile cirée sous ses mains crevassées. Et tout est là. Une beauté fulgurante, douloureuse, peut-être déjà morte. Paul n'est pas négligé : c'est la société, le progrès, la marche du monde et nous tous qui l'avons négligé. Paul porte sur ses épaules étroite et dans son regard d'une tristesse infinie tout le poids de l'oubli, de l'abandon, de la fin d'une certaine idée de la paysannerie. Une photo de ce Paul-là peut tirer des larmes.



C'est étrange, mais Depardon a aussi un peu parlé de moi. Et sûrement, de nous tous.
Je revois à l'instant la bande annonce et je les trouve tous beaux.

Séries politiques chéries

Mon héroïne de ces dernières semaines ? Birgitte Nyborg. Ne vous y trompez pas. Cette dame, danoise de son état, est sexy, intelligente, humaine, honnête et volontaire. Et, le plus incroyable, c'est qu'elle est Premier ministre ! La série événement diffusée par Arte a fait un tabac, et il y a de quoi. Certes les séries politiques ont le vent en poupe, mais celle-ci est particulière. D'abord parce qu'elle est danoise. Oubliés les coups de théâtre, brushings et incursions de la vie perso à l'américaine, dans l'intrigue.



Birgitte parvient au pouvoir par l'audace dont elle fait preuve en emmenant une coalition gouvernementale derrière elle, en rassemblant divers partis. Négociations, compromis et choix cornéliens seront désormais son quotidien. Jusque dans son quotidien... personnel, justement, lequel est amené sans gros sabot. Au début, elle n'est "que" la chef du parti centriste. Elle prépare le petit déj de son mari et de ses deux enfants avant de partie bosser au "Château", le Parlement, en vélo. Elle repasse en regardant les émissions à la télé, elle s'occupe de ses enfants mais moins que son époux, qui a fait une croix provisoire sur sa brillante carrière pour rester un peu plus à la maison et assurer côté foyer. Oui oui, on croit rêver quand je l'explique comme ça. Mais la série rend tout cela parfaitement limpide, crédible et accessible. En plus de cela Birgitte et son Phillip de mari copulent comme de jeunes amoureux. Un couple très uni, quoi.



Bon évidemment tout ne va pas se jouer jusqu' à la fin au pays des bisounours. Birgitte va être confrontée à des problèmes qui vont émousser ses valeurs : dénoncer ou pas un politique d'un bord opposé, constituer un gouvernement, choisir un spin doctor (un des rôles clés de la série, complètement passionnant), parler à la télé, gérer une affaire d'Etat face à des représentants de pays étrangers, extrader ou pas un pseudo-terroriste avec la pression exercée par le pays qui le réclame, solutionner une affaire d'écoutes illégales dans les locaux d'un parti de gauche, calmer le jeu quand un de ses ministres est en ligne de mire, réagir en cas d'intérêts coïncidant entre le nouveau boulot de son mari et un énorme marché passé par la Défense, cacher ce qui se passe vraiment dans sa vie perso, se préparer à mentir, et puis finalement non... Et tellement d'autres choses encore. Le dernier épisode est une espèce de feu d'artifice d'amertume et de renoncement. Le prix à payer, peut-être ? Terrible, en tout cas. Evidemment, j'ai pleuré.



Parallèlement, on suit les trépidantes aventures de son incontournable spin Doctor Kasper, habile et audacieux, qui sait, après la lecture des journaux du matin, qui doit répondre à quelles questions dans quel organe de presse, pour résoudre les problèmes ou prouver l'unité du gouvernement...



Evidemment, il est très lié à une talentueuse journaliste de la principale chaîne de télé. Ainsi, la caméra nous emmène tour à tour au coeur de négociations secrètes et extrêmement pragmatiques entre élus, au milieu des conférences de rédaction de la chaîne de télé principale, ou encore à l'endroit des tractations et autres filouteries géniales du spin doctor. La politique, le journalisme, la communication.



Pas-sion-nant ! Le tout avec un rythme génial, toujours parfaitement compréhensible même pour les moins aguerris à cet univers, et avec d'excellents acteurs qui changent un peu notre vision du jeu, de la série, etc.
Arte, qui consacre une partie de son site à un véritable sous-site sur la série, promet de diffuser la saison 2 en... janvier prochain ! Que le temps va sembler long... alors que la troisième saison est déjà en train de se tourner !

Dans le même temps, quasiment, que je suivais, haletante, les aventures de Birgitte, ses amis et ses ennemis, une autre mini-série, française celle-ci, m'a occupée trois soirs sur France 2 : Les Hommes de l'ombre, avec Nathalie Baye et Bruno Wolkovitch notamment. Même thème, ou presque : le président de la République française meurt subitement, s'ensuit une campagne expresse pour lui succéder, qui n'élude en rien les secrets, complots, pièges, révélations et guerres de communication obligées. En trois ou quatre épisodes, évidemment, il est moins aisé de poser des personnages, de rendre l'action et les événements crédibles. Mais j'ai également adoré cette série française, avec nos codes, nos mécanismes et nos travers. Incroyablement instructif !



A quelques semaines des échéances présidentielles française et américaine, à l'heure où une femme dirige effectivement le gouvernement danois, la réalité rejoint la fiction. A nous d'être les scénaristes de la prochaine saison... Mais pas sans avoir jeté un petit coup d'oeil par-là !

jeudi 22 mars 2012

Sensoriels Fragments

Du théâtre visuel ? Pourquoi pas. Nous voilà installés dans les fauteuils rouges de la salle de spectacle de notre ville, Monsieur Caouic et moi. Nous avons besoin de nous changer les idées. Va donc pour Fragments du désir, avec la compagnie franco-brésilienne Dos à Deux, création d'Arthuro Ribeiro et André Curti. Il faut quelques minutes, le temps du premier tableau, pour prendre la mesure de ce qui nous est proposé.



Un cercle familial restreint, des tensions, des costumes, des objets, des éléments de décor très importants. Le masque du père, vieillard impotent, les couvre-chefs de la bonne, tantôt jeu d'échecs tantôt luminaire classieux... L'origine du trouble, on le comprend dans le tableau suivant, mis en scène en quelques secondes avec une espèce de changement de plateau spectaculaire et sobre à la fois : l'histoire se jouera autour, dans et avec une structure figurant tour à tour la porte de la maison familiale et une scène de cabaret transformiste.



L'histoire peut paraître un peu simpliste, mais peu importe : l'essentiel ici est de ressentir la manière dont les scénaristes et les acteurs figurent, font passer et transmettent les impressions du personnage principal.



Abusé par son père durant l'enfance (l'horreur de l'inceste est figurée par des marionnettes), il trouve la paix et un certain épanouissement en se muant, le soir venu, en diva sur la scène d'un cabaret flamboyant.



Quand il devient elle et chante, un personnage bouge avec elle et l'entoure de deux rideaux de perles rouges derrière lesquels elle se cache, se dévoile... Le rideau l'entoure et la protège. Tout un symbole.



On est entre Comme ils disent d'Aznavour ("J'habite seul avec Maman, dans un très vieil appartement"...) et un Almodovar de la grande époque... Le jeu des vêtements, costumes, et celui de la porte et de la scène (dans la scène, mise en abyme réussie), ne servent plus vraiment le sens de l'histoire, l'intrigue, mais sont autant de touches impressionnistes qui suscitent frisson, sourire, coeur qui se serre, espoir aussi lorsqu'un spectateur aveugle du cabaret tombe sous le charme de la diva, sans connaître sa véritable identité.



Il choisit d'abord une fleur rouge parmi plusieurs, dans une scène où la poursuite se pose sur ce que touche le personnage non-voyant... Vraiment touchant. Et puis ce tableau où les deux amoureux se trouvent au cinéma, face au public, avec entre eux et nous un écran blanc déroulé qui finit par projeter leur propre image. Onirique, magnifique !
Les trouvailles visuelles poétiques, sensitives et originales ne manquent pas dans cette belle pièce.
On confine à la danse contemporaine, plutôt en début de spectacle, lorsque la gouvernante fait faire à son patron en fauteuil roulant une gymnastique dont on suppose qu'elle est prescrite pour conserver au vieillard un minimum de tonus musculaire.



Les corps des deux acteurs se mêlent dans une chorégraphie millimétrée, époustouflante, apparemment douce comme si les corps glissaient l'un sur l'autre.



Une belle soirée, pleine de rêve et d'émotion, et une petite larme à la fin bien entendu. J'ai beaucoup pensé à NBY, qui aurait été charmé et captivé par le propos de cette pièce, par les trouvailles imaginées pour raconter ce conte moderne pour adultes.


jeudi 8 mars 2012

Splendeur et misère de l'adultère

Petite polémique à la veille des césars et surtout des oscars, au cours desquels Jean Dujardin a triomphé. Surtout à Hollywood d'ailleurs. Les teasers pour Les Infidèles, nouveau film de copains, ont choqué ici et là. Et m'ont donné, il faut bien le dire, un mauvais pressentiment du film.



Finalement, il s'agit là d'un film à sketches, un peu dans la veine des films italiens d'il y a quelques dizaines d'années. Mais à la sauce française. Dujardin et Lellouche se donnent parfaitement la réplique, tout complices et compères qu'ils sont dans la vraie vie. Ils jouent bien, Dujardin lâche son côté beau gosse débile guignol sans le vouloir. On rit, forcément. Le comique de situation alterne avec des dialogues ébouriffants, tout ça. Alors quand dans un des sketches, celui où Dujardin joue un huis-clos avec sa femme dans la vraie vie (encore elle, la vraie vie) autour de la révélation d'un adultère, on tend vers l'émotion, ça fait bizarre. Ça ne fonctionne pas.
Cela dit, je pensais vraiment voir un film de mecs, lourd, gras, macho. Et puis non. Les mecs ou plus précisément ces mecs, en prennent pour leur grade et déballent là toutes leurs contradictions, leur bêtise, leurs petites ignominies quotidiennes, leurs mensonges.
Ah oui ! Guillaume Canet dans un splendide contre-emploi d'érotomane coincé (!) catho et fayot avec la raie sur le côté, ça c'est jouissif !



Pas le film du siècle, hein, mais mieux que je ne le pensais...
Allez, bande de curieux... Les voici les teasers diaboliques...



Jedis dans la troisième dimension

A quoi ça sert ? On l'a vu mille fois ! Tout le monde connaît toute l'histoire par coeur ! C'est juste pour se faire encore un  peu plus de fric ! Ça n'apporte rien à l'histoire...
Bah pourtant, avec Monsieur Caouic, on s'est réservé quelques heures pour aller voir... Star Wars en 3D ! Et ça valait largement le coup de faire de la route - dans l'espoir vain de profiter d'un écran iMax, du coup Monsieur Caouic a pris un gros pot de pop-corn salé pour se consoler - et de revoir l'épisode 1.



Alors c'est sûr, la 3D ne fait pas de cette ouverture de la saga un chef-d'oeuvre, le meilleur des six. Mais outre le fait que l'on se replonge avec délices dans les prémices de ce grand conte pour grands, franchement, la 3D fait vibrer à fond. J'avais déjà eu les tripes retournées la première fois lors de la course de modules, remportée brillamment malgré l'adversité par Anakin. En 3D, imaginez... J'ai fait les quatre coins de la salle, ou au moins j'ai eu l'impression. Vivement le prochain opus !

Poison et dentelles finnoises

Arto Paasilinna, par cette espèce de coïncidence étrange, m'a été soumis et conseillé par trois personnes différentes en l'espace de deux jours. Pourtant il écrit depuis longtemps et n'avait pas d'actualité particulière ces derniers temps... Me voilà avec La Douce Empoisonneuse entre les mains. Une pauvre mamie gravement persécutée par une bande de trois jeunes débiles, déchets de la société. La vengeance apparemment fortuite de Mamie. Savoureuse. Comme la bouille de l'auteur, d'ailleurs :



Voilà qui est bien rigolo, chez Paasilinna : il écrit avec une candeur qui exacerbe son propos et notre manière de l'accueillir. A l'image de son style, ses personnages sont comme en léger décalé avec la réalité. Ainsi Mamie qui se morfond de l'attitude de son ignoble neveu sans pourtant y voir ce qu'il faudrait : de la délinquance, des agressions, etc. Elle, elle le trouve simplement mal élevé, trouve qu'il a mal tourné et soupire qu'il lui subtilise systématiquement toute sa pension de veuve d'officier militaire... pour la boire. Une tatie Danielle à l'envers, en quelque sorte... Rafraîchissante lecture ! Vive la Finlande, et les pays nordiques en général !

Folie et brouillard

Second choix de ma Grande Amie pour Noël : L'Année brouillard. Pas de sang ni de viol entre ces pages, mais une tout autre sorte d'horreur. Une horreur qui répond à une espèce de phobie à laquelle je pense parfois, au hasard des faits divers développés à longueur de JT. Imaginez : vous vous baladez sur une plage avec un enfant, votre enfant - ou presque, dans le cas du livre de Michelle Richmond, puisqu'il s'agit de la petite fille de l'homme qu'elle s'apprête à épouser -, un appareil photo autour du cou. Pendant quelques secondes, vous détournez les yeux parce que quelque chose a attiré votre attention. La seconde d'après, l'enfant n'est plus là.
C'est aussi simple, aussi ignoble que cela.
Et le livre, c'est l'année qui suit cet instant là.
Lutter contre la folie, orienter tous ses gestes, sa moindre respiration vers la recherche, combattre la culpabilité écrasante, paralysante, innommable. Continuer à vivre, à se présenter devant l'homme qu'on aime et dont on a... perdu... la petite fille.



L'héroïne raconte tout cela, mais aussi ses démarches infatigables, redondantes, jusqu'à l'obsession, ces quelques minutes avant et après qu'elle se répète inlassablement pendant des jours, et des jours, et des jours... Les moments d'introspection alternent avec ceux de l'action. Jusqu'à ce que l'action devienne totalement absurde, kafkaïenne, jusqu'à ce que le père de l'enfant lui-même abandonne. Et elle ? Défaite, harassée, exsangue, de culpabilité, d'épuisement, d'obsession... elle refuse d'abandonner.
Peu importe la fin, finalement ; avec le recul - j'ai lu ce livre il y a déjà plusieurs semaines - je trouve que le dénouement n'est pas si décisif. Ce qu'il reste de cette lecture, c'est la capacité étonnante de l'auteure à écrire des centaines de pages sur l'absence, la gorge serrée, le coeur emprisonné, l'esprit affolé. Une espèce de cauchemar dont l'héroïne sait qu'elle est à l'origine... et emploie absolument toutes ses forces à faire en sorte de se réveiller.
Encore une lecture à faire le coeur battant, l'esprit squatté par les images mentales... C'était une année d'angoisse pour les choix de fin d'année de la Grande Amie !

Le cauchemar éternel des Enfants perdus

Trash ? Choquant ? Peu importe. Le livre nous tient, il nous retourne les tripes et pourtant on reste là, à la lueur de la chandelle ;) à tourner encore quelques pages avant de souffler la flamme. Retour à Rédemption commence par un crime atroce. Et la suite est pire encore. Peter Shepard a tout pour lui : une situation plus que florissante, une femme aimante, deux petites filles adorables. Et puis un jour, elles meurent sous le cagnard impensable du désert non loin de Las Vegas, sous l'emprise d'un étrange personnage. Peter, impuissant, entend la mort de ses proches au bout du fil. Le drame l'amène à revenir sur une période de sa jeunesse, alors qu'il a été interné dans un camp de redressement tenu par un gourou illuminé, pédophile et violent... Les brimades, les coups, les agressions physiques et mentales sont le lot quotidien pour lui, pour eux, puisqu'il s'est trouvé une petite famille de substitution, avec quelques compagnons d'infortune. Ils se baptisent les Enfants perdus. Dans mon esprit, bien sûr, la Cité de Jeunet... L'univers est bien différent pourtant. Les flash-back alternent avec les épisodes de la vie actuelle de Peter qui part sur la trace de ses compagnons d'alors. On comprend les choses petit à petit.



Sanglant, violent, le Graham. Et pourtant on en redemande. Ça m'a un peu rappelé le film Sleepers, qui me hante toujours, et qui nourrit depuis que je l'ai vu mon espèce de dégoût de Kevin Bacon...
Un bon choix de ma Grande Amie pour Noël ! Et ce n'est pas le seul... A suivre.

dimanche 4 mars 2012

Fou furieux


Il a tellement incarné le Professeur Rollin qu'on en oublierait presque qu'il a incarné d'autres personnages ! François Rollin était chez nous, sous les projecteurs de notre scène nationale dernièrement pour partager ses Colères. Rien ne lui sied, tout est prétexte pour lui à râleries, opposition, ton qui monte, voire gros mots et explications via des panneaux explicatifs. Il ne dit rien de drôle au premier degré mais il est hilarant. Il va loin, bien plus loin que j'aurais cru, il ose beaucoup. Et ce n'est jamais obscène, mais toujours audacieux, intelligent.



Depuis une quinzaine, une nouvelle émission déchaîne les passions sur France Inter : A votre écoute coûte que coûte, où deux supposés médecin et psychothérapeute répondent au problème d'un supposé auditeur. Racisme, clichés, humiliation et mauvais goût de rigueur, tous les jours à 12 h 20. La plupart des auditeurs réagissent très vivement et crachent sur le programme. France Inter ne pipe mot. Quelques-uns, confortés par des papiers parus ici et là sur Internet, crient au génie. Le gigantesque canular récurrent pose avec de gros sabots... subtils la douloureuse question oubliée de l'humour, du second voire du troisième degré. Salvateur.
François Rollin n'a jamais perdu de vue, depuis ses débuts à l'écriture de la série culte Palace, ce type d'humour, contre-pouvoir réel. Avec une rhétorique et un flow époustouflant, il déverse sa bile pendant une heure et demie sans bafouiller. Un grand moment de théâtre, d'humour un peu noir, dont on a tellement besoin... Et ça, c'est cadeau !


Le thriller du millénium


J'étais persuadée d'être déçue. Pensez donc : une trilogie époustouflante, haletante, pleine d'hémoglobine, de tortures, de vengeance et de journalistes justiciers, servie par une série de trois épisodes pour une série anti-Hollywood au possible. Avec des gueules pas over maquillées, un rythme original, une unité épatante. Fallait-il en rajouter ? David Fincher (ô maître es horreurs et clairvoyance brutale) a eu envie. Alors puisque c'est lui, je suis allée au cinéma, pleine d'espoirs. 
Et j'ai été encore une fois ébouriffée.



D'abord, il y eut le générique. Une espèce de cauchemar sur grand écran, couleur corbeau, figurant un fluide s'immiscant partout, dans des outils informatiques jusqu'entre deux personnages aimantés... Hypnotisant, déjà bouleversant. La chair de poule !
Puis il y eut Daniel Craig. Qui me laissait jusqu'alors d'une neutralité parfaite. Je n'ai même pas encore vu une seule de ses performances comme James Bond. Mais il est là, très vite, dans la peau de Mikael Blomkvist défait, humilié. Plutôt un taiseux, mais pas un timide. Et un déterminé. Il dégage un charme fou sans jouer les beaux gosses, sans arborer de muscle, tout concentré qu'il est sur la nouvelle enquête, totalement inédite, que lui propose le vieux PDG d'une entreprise phare du pays. Il jauge, il capte vite, il sympathise en laissant une distance polie et ferme. La scène où il s'installe dans la petite maison d'appoint sur l'île est exactement conforme au film personnel que je m'en était fait à la lecture du bouquin. Quand il travaille et réfléchit, il y est vraiment, il a de ce fait la vraisemblance qui faisait la force de la version suédoise. Et puis cette manie qu'il a de laisser une branche de lunette coincée derrière son oreille droite... Catchy !
Et puis il y eut Lisbeth Salander. La clé de voûte. Le cinquième élément. Le supplément d'âme. L'héroïne. Comment parvenir à mettre en scène une génie de l'informatique, hackeuse rebelle au parcours effarant, toujours sur le fil entre le statut de victime et celui de vengeresse, froide, très distante, asociale, gothique, bisexuelle, PASSIONNANTE. Comment trouver mieux que dans la version suédoise ? Bah en posant devant la caméra une Rooney Mara qui fait quasiment oublier Noomi Rapace. Elle est aussi diaphane que ses tatouages, piercings et fringues sont noires ; elle est aussi socialement inadaptée que son cerveau est puissant ; elle est aussi violente que les agressions dont elle a été victime sont ignobles ; elle est invisible mais elle sera bientôt partout...



Ces deux bombes se rencontrent et... ça marche. On y croit, l'histoire de non-amour est à peine esquissée, intelligemment présentée comme ne relevant absolument pas d'un fil conducteur essentiel. L'attachement n'est pas là. Et puis patience, on n'en est encore qu'au premier épisode, Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes... bêtement traduit par la Fille au tatouage de dragon, ce qui déplace l'intrigue essentielle, je trouve.
L'histoire est déjà gore par endroit, mais Fincher parvient à nous mettre une chair de poule tenace, à nous garder dans l'état juste avant de sursauter, et il le fait bien. Je n'ai pas retrouvé de patte commune à Millenium et à Seven ou Fight club. La scène partagée où Lisbeth consulte des archives dans un sous-sol éclairé par des néons pendant que Mickael parcourt à pas de velours les pièces de la maison du tueur... Par où arrivera l'horreur ? C'est intenable et délicieux...
Evidemment les ellipses sont nombreuses, comment montrer cinq cents pages en deux heures et demie ? Mais ça coule, rien ne choque et tout tient bien debout. Un truc qui m'a semblé pompier cependant : avoir flanqué une fille ado à Blomkvist. Juste pour lui permettre de percer le mystère des annotations religieuses de la victime recherchée ?
J'ai hâte de voir les suivants. Paraît que Fincher serait déjà attelé à la tâche...

Des Bérus à la fable médiévale

Il fallait oser... Fred Tousch, dans sa véritable histoire du pintadier Benoît de Touraine premier épisode, conte sans décor et peu de costumes une histoire médiévale entre aventure et thriller, avec force dialogues, comique de répétition, vieux françois et bande son aux guitares hurlantes... Il a commencé avec les Bérus, a enchaîné avec le théâtre, a travaillé avec Edouard Baer...






Sur le papier, c'est fascinant. En vrai, c'est divertissant mais un peu too much parfois. Il n'économise pas ses efforts et en fait... c'est trop visible. Son propos, c'est le destin extraordinaire de Benoît de Touraine, dernier d'une fratrie de seize filles, qui devra apprendre à manier l'humour - qu'il croit déjà maîtriser - pour dérider le seigneur des lieux, cruel, sans pitié, et sans humour. Chapeau bas cela dit pour le dynamisme, le tonus, l'allant de ce troubadour-là, échevelé et endossant tous les rôles... et sait si bien imiter la pintade ! 

Un souffle de génie

La dolce vita ce dernier vendredi soir. Monsieur Caouic et moi, nous n'y sommes pour personne. Direction une petite ville littorale pour découvrir un resto brique et poutres avec une cheminée à l'âtre et plein de vieilles pubs comme j'aime avant de filer dans une petite salle de spectacle. Du deuxième rang, je crois pouvoir dire que nous somme aux meilleures places pour profiter du set d'un génie : Ibrahim Maalouf. 






Depuis la dernière (qui était aussi la première) fois que je l'ai vu sur scène, force est de constater qu'il n'a pas franchement gagné en confiance le micro en main, au moment d'interpeller son public. Qu'importe : quand il brandit sa trompette, il nous dit l'essentiel. La rage, la souffrance, la peur, l'espoir, la joie : rien n'est impudique, ce ne sont que des notes. Il a su cette fois encore s'entourer de musiciens hors pair, des pointures à qui il n'hésite pas à laisser la place sous les projecteurs, quand il s'efface, par-ci par-là. Il fait monter sur scène les élèves trompettistes de l'école de musique locale, à qui il est allé faire coucou la veille en leur apprenant un petit morceau... et en leur racontant ce que sa trompette à lui, moins brillante et avec un piston supplémentaire, a de révolutionnaire ; c'est son père qui l'a inventée, je crois qu'il n'y a plus que lui à savoir en jouer et le piston de plus, actionné par l'index de la main gauche, joue sur le demi-ton de la note en cours. Ça paraît technique, ça l'est, mais c'est le passeport vers son univers indescriptible, métissé, passionnant, envoûtant ! Un artiste de choix pour tenir notre chandelle, à Monsieur Caouic et moi-même !
Je ne m'en lasse pas.

"Homo, facho, parano"

Un Clint Eastwood, on y va les yeux fermés... et puis on les ouvre grand pour goûter le talent du grand monsieur. Là, on découvre l'histoire du fondateur du FBI, personnalité à part restée aux commandes pendant des décennies. "Homo, facho, parano", résumait parfaitement les Inrocks à la Une de leur numéro de cette semaine. 






Au-delà de l'homme de pouvoir et de tout ce qu'il a instauré (obsession du fichage, écoutes téléphoniques) et de ce qu'il a commis (racisme, affaires), on s'imprègne de plus en plus, à mesure que le film se déroule, de l'intime du personnage. Il n'en devient pas un héros, ce salaud, mais... comment dire... on y est, là, avec lui, sa mère omniprésente et fondamentalement castratrice, sa secrétaire fidèle pendant toutes ses années, après avoir refusé de l'épouser, et puis ce fameux Mr Tolson, lui aussi de l'extérieur un proche avec qui il déjeune et dîne quotidiennement, avec qui il partage week-ends et vacances... Et voilà notre Clint qui nous sert, quand on attendait trivialement un biopic sur l'histoire du FBI... une belle histoire d'amour. Compliquée, honteuse, pas consommée, mais belle. Depuis, j'ai lu plusieurs papiers sur le film et sur Eastwood : partout, on lit qu'il est républicain, de droite. Ah bon ? Il n'en a pas moins réussi de belle manière son Brokeback Mountain à lui ! Avec un Leonardo Di Caprio magistral, mais est-il besoin de le souligner ? Une mention aussi aux maquilleurs qui ont permis le prodige de garder Leo pour jouer John Edgar Hoover à tous les âges, de 20 à 80 ans pratiquement. Une question, dès lors : pourquoi le maquillage de Tolson était-il si différent, si peu vraisemblable à côté de celui de Leo ?

Mémoire d'un jeune trentenaire


Après avoir frissonné devant les dorures et la douceur de Fra, il nous restait juste le temps pour un biryani succulent sur le pouce dans un boui-boui improbable avant de filer au théâtre des Bouffes du Nord pour découvrir - surprise made in Grande Amie ! - le nouveau spectacle de Vincent Delerm. On l'a adoré, détesté, on lui a fait porter tous les étendards, tous les héritages. A présent, peut-être, on peut considérer son travail avec un peu de sérénité, d'objectivité. Personnellement, j'ai toujours aimé. Beaucoup. Une question de génération. On était à la même fac en même temps, je l'ai interviewé juste avant la sortie de son premier album, mais cela, c'est peanuts. Vincent Delerm, c'est tellement plus fondateur, est mon frère de culture musicale : Souchon, Caradec, et tellement d'autres...



Enfin toujours est-il que nous voilà, nos augustes séants délicatement posés sur des coussins, devant le premier rang, soit sur scène, les yeux écarquillés devant lui. Il est au piano, il danse au milieu de la scène, il parle, il chante, il écoute les voix off, devant lui, quelques objets, derrière lui des images, des bouts de film, des références par milliers. Tout nous parle, tout nous interroge et nous ramène à nous, depuis les prénoms jusqu'aux lieux. Il rit de son petit complexe de provincial... ou plutôt il rit du snobisme parisien, apparemment. 
Moment d'émotion intense où deux manières de séquences se téléscopent : celle où il admet une étape dans la vie, de celles qui donnent à ressentir le reste-à-vivre ; et celle où, juste après avoir expliqué qu'il était de ceux qui ne dansent jamais dans les boums, préférant se tenir un verre à la main dans un coin sombre, il se met à bouger puis à danser franchement : on n'a qu'une vie, bordel, sortons de nos carcans et... allons voir le spectacle de Vincent Delerm ! Il y a du vélo, du tennis, de vieilles reprises de tubes intemporels en italien sur une cassette ayant trop séjourné sur la plage arrière d'une voiture, il y a même des références au quartier bernayen du Bourg-Dessus, il y a des chansons inédites, du cinéma, il y a la voix de Woody Allen, au tout début ! Et plein d'etc.

Fra, mi amore !


Entre lui et moi, tout a commencé à l'été 2005 je crois, à Florence, alors que je montais l'escalier d'un couvent près d'une jolie place écrasée de soleil. Après la dernière marche, annoncée par mon Guide du routard qui prévoyais une bonne séance de syndrome de Stendhal, l'Annonciation de Fra Angelico.



Je ne m'en suis jamais remise. Depuis, je vous aux annonciations un culte révérencieux, cherchant toujours la sienne dans celles des autres. 
Evidemment, impossible de manquer l'expo qui lui était consacrée, à lui et aux autres peintres de la lumière, au musée Jacquemart-André jusqu'au début de cette année. L'occasion parfaite pour une virée avec ma Grande Amie, particulièrement inspirée (voir le post suivant)...
Fra, mon Fra, donne, me semble-t-il, un visage humain à ses sujets pour la première fois : ils ne ressemblent pas, je trouve, à des icones, des vues de l'esprit... Ils ont le visage de la douceur, de la souffrance, de la pureté, de la colère, de tant de choses humaines et divines à la fois, entre lesquelles Fra tisse des ponts lumineux, dorés, éthérés autant qu'incarnés, viscéraux, etc. J'ose même affirmer que Fra a inventé la 3D. J'en veux pour preuve cette toile où la Vierge, grande héroîne fraesque, trône encore sur le meilleur spot de la toile, avec tambours, trompettes et un auditoire de choix, agencé en utilisant, je vous jure, la troisième dimension de profondeur grâce aux aplats dorés - dont Fra était un maître incontesté... Des Vierges à l'enfant, plus douces les unes que les autres, mais aussi l'impensable : Fra avait des nègres ! Et de vieux grimoires enluminés par le génie italien ! Et puis ce Couronnement, que j'évoquais quelques lignes plus haut :


Livre noir de la République

Juste quelques mots, parce que je ne me sens pas la capacité de développer, décortiquer, commenter à l'envi uns somme de travail télévisuel parfait : une série documentaire, six fois cinquante-deux minutes, baptisées Manipulations. Six soirées entre thriller, indignation et surtout éclairage total sur la vie politique, économique et médiatique actuelle, sur France 5. Clearstream, les frégates taiwanaises, l'affaire Elf et tant d'autres. Vous non plus vous n'y compreniez rien pour la bonne et simple raison que personne ne vient vous expliquer le début des faits ? Vous aussi vous vous êtes toujours interrogé sur l'étrange absence d'explications au profit de faits secondaires mais plus people et surtout... moins importants sur le fond. 






Exemple à l'origine de Manipulations : l'affaire Clearstream, on en retient la confrontation Sarkozy/Villepin, ou plutôt : tout a été fait à longueur de journaux télévisés pour que l'on ne retienne que cela, qu'on soit persuadé que l'affaire se résume à cela. Et pourtant... Les tenants et aboutissants de cette affaire sont tellement, tellement plus énormes qu'une simple querelle politique, fut-elle violente et, évidemment, abondamment télévisée... Il faut garder le goût de regarder plus loin, plus profondément, et enfin cesser d'engloutir ce que l'on nous sert lors des grands-messes de 13 et 20 h. Si vous voulez savoir, si vous voulez vibrer, si vous voulez vous indigner, si vous voulez COMPRENDRE, allez-y ! Ça s'appelle Manipulations ! Il y a Pierre Péan, le vieux grigou dont il est toujours intéressant de découvrir la manière de réfléchir, d'interviewer, de travailler, mais il y a aussi une jeune journaliste à ses côtés. Et une belle femme qui fait office de chorifé et replace le tout dans son contexte, qui réalise le prodige de faire des enchaînements logiques dans cette histoire de fou !

Monsieur Thomas


Il n'avait pas encore tout dit, tout donné, tout inventé. Thomas Fersen poursuit son voyage dans les mots, les notes, les ambiances, les collaborations musicales... Il ne change pas, si ce n'est une petite calvitie moniale naissante... Il est toujours le jeune homme, le dandy à la voix suave et un peu traînante, il a toujours son air faussement nonchalant, comme s'il se baladait toujours, comme s'il ne bossait jamais. Ses premiers albums sont tellement cultes pour moi que les derniers me paraissent encore très récents, pas encore passés à ma postérité intime. Mais sur scène - ce devait être la troisième ou quatrième fois que je le voyais - quel charme, quel charisme, quel humour, quel romantisme aussi...
C'est ce qu'il a voulu pour cette tournée, le romantisme, mais "un romantisme noir", me disait-il au téléphone, au creux d'une conversation passablement bombatomiesque pour moi, moi la fan depuis si longtemps... Il était drôle, cool, reconnaissant quand je lui dévoilais mon amour sans borne. Il a ri aussi quand je lui ai raconté, le souffle court, que mon petit cousin assisterait avec lui à son premier concert, ce petit garçon même qui chantait à tue-tête son dernier titre radiophonique...



C'est peut-être aussi simple que cela, trousser des ritournelles pleines de premier, deuxième et troisième degré, depuis le bon mot qui fait rire jusqu'aux recoins les plus poignants d'une poésie intemporelle : se promener tel un vagabond avec son dictionnaire personnel et son énorme imaginaire à nul autre pareil, se promener d'un instrument à l'autre, se promener d'une scène à l'autre... Et entre-deux, silence. Pas de blog, de gros titre, de twitt... Non, juste de la musique, des paroles et des scènes. A l'ancienne. Et on en redemande toujours.
La Chauve-Souris, Monsieur, Saint-Jean-du-Doigt, et tant d'autres... Oui, on en veut encore !
A la fin du concert, Thomas Fersen est venu rencontrer son public, souriant et accessible. Un petit moment indescriptible...

Patates douces


On m'en avait tellement parlé, j'avais vu son titre dans tans d'articles, que, peut-être j'en attendais trop. Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, prêté par une N'Alex enthousiaste, m'a ravie comme devant une énorme glace en plein juillet. Et puis, si la lecture a certes été rapide et addictive, c'est au lendemain de l'achèvement de la lecture que le réel avis vient : c'était bien, mais pas top. Certes on ne lit pas tous les jours, et c'est tant mieux, des Sur la route ou des D'autres Vies que la mienne... Mais il reste de ce Cercle et de ces Patates, une fois épluchées, un sentiment vieux rose de voilages froufroutants, une belle histoire et un décor originaux mais qui sont, je crois, dépassés par le véritable inédit de ce roman : le fait qu'il soit épistolaire. Ce n'est plus la mode, cela ne se fait plus beaucoup ou, tout du moins, n'a plus la côte. Là, l'intrigue se dévoile à coup de missives entre de nombreux destinataires. Cela requiert un peu d'attention et permet d'être plus poreux au fond de l'histoire. Voilà donc ma sentence : la forme est probablement plus catchy que le fond, dans le Cercle... La guerre, l'après-guerre, Jersey qui panse ses plaies quand une jeune auteure fanfaronne au bras du tout-Londres, et puis la rencontre proprement incroyable entre ces deux mondes. On se dit qu'aujourd'hui, les deux héros (l'un "plouc" apparent de Jersey, l'autre it girl londonienne) auraient consommé vite fait bien fait une relation à la petite semaine via Facebook et Twitter... Alors que là...



Le roi est fou


J'ai tant de retard - plusieurs mois - que l'écueil évident est là : les souvenirs sont imprécis de ce qui m'a animée devant le spectacle de Caligula post-Camus, époque Putzulu. Car voilà bien ce qu'il reste d'une soirée de théâtre quand on a oublié le reste : la performance d'un acteur, assez mordu pour être totalement libéré, dans ce rôle sur le fil qui peut à tout instant basculer dans le n'importe quoi. Mais non. Bruno Putzulu, petit et à première vue pas si charismatique, attire la lumière et magnifie la folie d'un tyran fantasque. Du coup, la portée philosophique du texte - du Camus, tout de même ! - s'effacerait presque pour laisser la place au bonheur brut et quasi-bestial de jouer, de ressentir, d'incarner. Chapeau à Bruno Putzulu pour cela, il doit lui en falloir de l'énergie pour venir à bout de ce Caligula-là !



De l'énergie, remarquez, il n'en manque pas : il tourne, a tourné, tournera, lit des scénarios, écrit les chansons de son prochain et deuxième album et, quand il marche dans Paris entre une répétition et une séance d'écriture, il répond à son téléphone. Je suis à l'autre bout du fil, il répond volontiers avec entrain et esprit, il rit, il est désarmant de charme !

Irrévocable événement


Elle y va fort, Eliette. J'avais lu son premier best-seller, Qumran, sur les manuscrits de la mer Morte. Un bon bouquin entre l'histoire et le thriller, comme je les goûtais particulièrement à l'époque où je découvrais l'histoire du peuple juif. Et puis, des années après, je m'avise qu'un film sort dans les salles, avec Louise Bourgoin, intitulé Un Heureux Evénement... mais qui semble a contrario figurer toute la merde qui entoure la grossesse et l'arrivée de Bébé. Assez ouverte à ce genre de réflexion actuellement, je me renseigne et je découvre que le long-métrage (que je n'ai toujours pas vu) est inspiré d'un ouvrage d'Eliette Abécassis. Je me rue à la bibliothèque et me voilà dévorant le court bouquin en une petite partie de nuit.
Tout ce que l'on ne nous a jamais dit sur le passage de l'état normal à l'état maternel, en quelque deux ou trois cents pages, vues du côté obscur : voilà tout l'inédit de ce livre. Elle est un peu lourde parfois, mais à l'origine elle est philosophe, alors on comprend... Elle perd tout ce qui faisait le sel de sa vie, en fait, en devenant mère. Son point d'équilibre, de référence, de vue, se déplace d'elle à sa fille et il n'y a strictement rien qu'elle puisse faire pour inverser la tendance. Elle y perd même sa belle histoire d'amour... vite remplacée, cela dit. En cela, elle revient finalement aux mêmes conclusions, en partie, que d'autres ouvrages, extrêmement majoritaires pour ne pas dire exclusifs, qui présentent la maternité comme la plus belle expérience au monde ; expérience qui amène la jeune mère à ne pas pouvoir se passer de son bébé, à y penser sans interruption, quand bien même elle peut profiter d'un moment de répit. On pense avoir des enfants mais en fait, ce sont eux qui nous ont. Sans le vouloir, à leur corps défendant. 

Touchants Intouchables


Qui n'a pas encore vu Intouchables ? Qui n'a pas encore d'avis là-dessus ? Qui n'a pas lu de critique dithyrambique ?
Le baromètre ultime : mes parents souhaitent aller le voir. La dernière fois, ce devait être pour Bienvenue chez les Ch'tis, ou presque.
J'ai eu la chance d'aller le voir la première semaine de sortie, pas encore totalement polluée par les avis tous azimuts.
C'est un bon film. On y rit beaucoup, on y a son petit lot d'émotion, on en ressort ragaillardi du beau message passé. Un très bon film populaire, qui est précisément en train de toucher son public, bien comme il faut.
Moi j'aime les films populaires. J'avais apprécié Bienvenue chez les Ch'tis. J'aime ces occasions où un peuple se rassemble pour rire et s'émouvoir, ou encore pour faire la fête - rappelons-nous du 12 juillet 1998. J'apprécie ça, je le goûte sans arrière-pensée, et je plains vraiment les snobs, qui ne s'octroient même pas cette menue faiblesse.
Alors voilà, on sait déjà tout de l'histoire vraie qui a inspiré les réalisateurs Toledano et Nakache. Ce qui est beau et qui marche à chaque fois quand c'est bien amené, c'est comment deux personnages qui ont perdu tout espoir peuvent encore se réinventer en se combinant. Ce qui est culotté, là, c'est comme ils dépassent les bornes. On rit. On fait "Ooooh !" et puis on se dit que finalement, au point où ils en sont...
J'ai vite digéré ce film qui m'a fait passer un bon moment ; quand j'ai encore certaines images de Polisse gravées dans ma mémoire.

Sonia, imbécile heureuse


Comment vous expliquer ? Comment vous faire comprendre ce qui m'a amenée à être pétrifiée sur un fauteuil pourpre, dans un théâtre, sanglotante ?
Au début, j'ai entendu parler d'un texte de la petite-fille de Tolstoï, d'un appartement reconstitué et de l'histoire d'une femme simple. Alors j'y suis allée.
Sur la scène, un petit intérieur douillet et soigné. Celui de Sonia, Moscovite pendant la Seconde Guerre mondiale. Deux voleurs s'introduisent chez elle. Pendant qu'ils pillent le logement, ils tombent sur des lettres. Ils vont reconstituer l'histoire de celle qui vivait là. Pour mieux l'incarner, l'un des deux malfaiteurs passe ses vêtements, son maquillage, ses chaussures, virevolte de la cuisine à l'armoire... On le verra jouer avec une collection de poupées, se préparer pour sortir, préparer un gâteau au chocolat et un poulet, écrire à un amoureux imaginaire.
Car voilà le drame de Sonia : simple d'esprit, étrangère à l'hypocrisie des conventions sociales, elle fut l'objet d'une mauvaise blague qui dura toute sa vie. Certaines de ses connaissances lui envoyèrent, pendant des annés, des lettres se faisant passer pour un voisin épris mais emprisonné dans une famille à laquelle il ne pouvait se soustraire. Sonia y crut tout du long. Sa foi est totale, pure, oublieuse d'elle-même. Elle est belle. Elle la rend attachante, elle qui est devant nos yeux incarnée par un gros bonhomme travesti ! Et pourtant, du fond de son mutisme flamboyant - c'est son comparse qui raconte l'histoire - il nous fait y croire, à fond.
On passe du rire aux larmes, comme le dit la formule consacrée. Quant à la fin, bouleversante au possible, elle m'a convaincue qu'une simplette trompée peut être plus heureuse qu'une rouée clairvoyante.

La loi de la jungle


Depuis le temps qu'on les voit opposés à longueur de JT... Cela valait bien le coup de tout reprendre et de raconter leur histoire, en coupant l'écran en deux, genre Amicalement vôtre... L'un est petit, brun et énervé ; l'autre grand, cheveux blancs, majestueux. Sarkozy et Villepin. On sait qu'ils se détestent, que leur haine a été donnée en pâture lors de la seconde affaire Clearstream même s'il semble, depuis quelques semaines, qu'il y a du rabibochage dans l'air. A l'origine de leur mésentente, pour utiliser un doux euphémisme, à l'origine de tout ce qui s'est passé dans la droite française depuis plus de quinze ans, à l'origine d'une bonne partie des faits politiques depuis 1995, il y a un événement, un choix, un élément : le ralliement de Sarkozy à Balladur lors des présidentielles de 1995. Qui lui a valu de traîner le qualificatif de traitre pendant une longue traversée du désert. Et qui a, donc, eu des répercussions énormissimes par la suite.
Ce docu, parfaitement monté et documenté, se regarde comme un bon film d'espionnage à rebondissements. Et permet de comprendre l'envers du décor. Quelle sensation c'est, de comprendre. De voir ce à quoi on n'a jamais accès d'habitude. Ce qui prend un peu de temps et de couilles à vérifier et à montrer. Pour ça, merci et bravo, Patrick Rotman.
Ce que l'on y voit, aussi, avec pas mal de désappointement, c'est que de la cour de la maternelle aux bureaux parés des ors de la république, c'est exactement, précisément, complètement la même manière de comploter, tromper, tirer profit de tout ce qui est possible, ravir le pouvoir et s'en griser autant que possible.
Ce qui étonne, également, ce sont les témoins qui apportent leur vision des choses entre les deux hommes : beaucoup d'entre eux sont aux postes de responsabilités ou l'ont été il y a peu. Me reviennent en mémoire Baroin, Copé et Raffarin, pour ne citer qu'eux. Les anecdotes pleuvent, les coups en douce, les bassesses, les petites phrases et les stratégies se dévoilent, presque incroyables... Parce que tout de même : tout ceci se joue à la tête de l'Etat !
Pas mal de critiques ont estimé que Rotman n'"invente" rien et que toute personne s'intéressant à la politique a encore tous les faits en tête. Et bien pour ma part, le docu les a rassemblés, mis en lumière, agencés, pour qu'ils fassent sens les uns avec les autres. C'est ce que l'on appelle l'Histoire, non ?

Polisse, cinéma à l'estomac


C'est un peu nul d'écrire avec tellement de retard... M'enfin.
L'un des must-have-seen de ces dernières semaines, Polisse, ne laisse personne indifférent, et à vrai dire pas grand monde déçu.
Est-ce que c'est vraiment un film ? Pas un documentaire ? Non, évidemment, on a tellement vu la moue de Maïwenn se balader partout de radio en télé pour parler de son oeuvre... On ne peut pas en douter. Elle n'a pas besoin de nom de famille, l'ex-Mme Luc Besson, pour faire sortir les tripes de ses acteurs, tous incroyables (surtout les enfants, mon Dieu, les enfants... Mais comment a-t-elle fait ?) et les flanquer dans le ventre de sa caméra, souvent portée à l'épaule. une caméra qui a la bougeotte, qui ne se pose quasiment jamais, comme ces flics de la brigade des mineurs, petite famille reconstituée d'éclopés de la vie, qui portent leur croix et dont le boulot, innommable, permet de rester debout. Dès les premières images, ils nous emmènent dans leurs virées, leurs interrogatoires glauquissimes, leurs sorties pour décompresser, leurs vies toutes minables d'un point de vue différent pour chacun. Ce boulot les abime et pourtant c'est une drogue pour eux, ils le placent au-dessus de tout. 
Et le spectateur, il est dedans. Je n'ai pas trouvé trop longue, trop mélo (un mot qui n'a pas droit de cité dans ce film) ou de trop tout simplement, la scène où Joey Starr (parfait) retient un enfant hurlant et sanglotant dont la mère vient de partir en l'abandonnant à un foyer qui ne peut pas la faire dormir, elle, à l'abri.
Ce qui m'a un peu gavée, en revanche, c'est la place de Maïwenn dans les personnages : y avait-il réellement besoin d'un point de vue extérieur, photographe en plus (v'là les gros sabots), riche, nantie, aved deux enfants choyés ? Je ne suis pas sûre. Pas besoin non plus que la belle prenne en photo le flux de personnes (dont beaucoup d'immigrés apparemment) qui anime la rue d'un quartier populaire de Paris, le matin au réveil chez Joey Starr.
Mais bon, je ne saurai trop lui en vouloir. Elle nous met un grand coup dans l'estomac, elle nous montre l'inmontrable, l'inconnu, au plus près du réel, semble-t-il.
J'ai retenu mon souffle, crié, pleuré, ri aussi. Et moi j'adore faire tout ça au cinéma.
Quant à la dernière scène, elle m'a juste laissée collée sur mon siège, la bouche ouverte pour un cri qui n'est toujours pas sorti...

Tintin au pays de la 3D


Et si je le boycottais purement et simplement ? On en parlait déjà depuis trop longtemps, et il y avait déjà tellement d'enjeux financiers autour de ce film ! Et puis finalement, j'y suis allée... pas tout à fait le premier soir, mais le second. Et c'était vraiment bien, Tintin.
Dès le générique, qu'il ne faut vraiment pas louper en traînant du côté des pop-corn, Spielberg pose là toute son admiration du seul maître qui soit pour lui dans cette aventure : Hergé. Tout le début n'est qu'une succession de sihouettes des personnages principaux, servis par la police de caractère bien spécifique. Un premier hommage. Puis, une fois le film commencé, on se trouve sur un marché aux puces où un personnage croque un autre, crayon à la main. On ne voit pas le sujet mais on reconnaît bien Hergé dans les traits du dessinateur de rue. Il montre son portrait au modèle : le portrait, c'est Tintin, celui de la BD. C'en est presque émouvant. On découvre alors les traits du Tintin du XXIème siècle, celui de l'ère de la 3D et de la performance capture, cette technique qui allie le vrai acteur et l'image de synthèse dans un hybride intéressant. Et l'on comprend tout : que Spielberg ait tant voulu faire ce film, qu'il ait tant attendu d'avoir accès à ce niveau de technologie. Son Tintin est précisément entre la BD et l'humain, et il n'est pas bizarre, pas "trop" incarné, fidèle à lui-même. Ainsi en va-t-il également des autres personnages, le brave Milou y compris.
L'aventure commence, les lunettes bien calées sur le nez, pour les petits et les grands rassemblés dans un même rêve : voir enfin Tintin bouger, parler, se bagarrer, mener l'enquête, rencontrer Haddock, etc. Le capitaine n'a pas forcément tiré son épingle du jeu : les scénaristes américains ont salement forcé sur son alcoolisme et sa bêtise. Mais on a l'Haddock des albums dans les yeux et dans le coeur, alors on l'aime et on est évidemment fans de ses salves d'injures fameuses.
Bravo, M. Spielberg. Bravo et merci pour le bon moment.

Insultes au public


Le deal était connu d'avance : ce ne sera pas un spectacle ordinaire, avec une histoire, des acteurs à leur place sous les projecteurs et un public bien installé dans l'obscurité d'une salle anonyme. Non, là, on nous accueille à l'entrée du théâtre pour nous expliquer comment cela va se passer : on va monter sur scène, oui, sur scène, où l'on viendra prendre nos manteaux et autres sacs ; puis l'on prendra place sur un pouf où l'on viendra nous distribuer des écouteurs. Soit. Le spectacle commence quand ? En fait il ne commence jamais. Ou plutôt, il a commencé quand on s'est préparés à venir au théâtre, pourrait-on dire. Pendant une heure et demie, cinq acteurs, sans costume ni décor, sur un plateau nu, vont déambuler autour et entre les spectateurs médusés, en déclamant un texte de Peter Handke, grand dramaturge qui a écrit ce texte singulier à l'âge de 23 ans ! L'âge des possibles, encore, l'âge où les révoltes sont constructives. Son propos, à l'origine, était intitulé Outrage au public. Le titre a été changé et ce n'est pas plus mal : les deux soirs où la compagnie Akté a "joué" ce texte dans ma ville, on était une salle - ou plutôt un plateau - comble à vouloir se faire insulter. Parce que, admettez, ça titille, un titre pareil. Et puis Peter Handke, tout de même...
La conversation qui a suivi la non-pièce nous a posé devant les acteurs qui parlaient de leur travail sur le texte : ils le connaissent tous par coeur et il n'y a pas de rôle, pas de distribution. D'ailleurs ils répètent à l'envi, pendant le "spectacle", que ce n'est pas une pièce, que notre envie d'imaginaire ne sera pas assouvi, que notre petit manège ayant consisté à faire garder les enfants, dîner tôt, se préparer et venir au théâtre n'a pas servi à grand chose ce soir en termes de catharsis, etc. On les intéresse en tant que public, masse informe nécessaire au théâtre. Finalement, on était un peu le décor, peut-être. 
Au final, une heure et demie de réflexion intense sur le théâtre, le spectacle, les rôles de chacun (l'acteur, la scène, le public) et... aucune émotion. On n'est pas là pour ça. 
Et bien sûr, à la fin du propos, des insultes. Pourquoi ? J'avoue ne pas avoir compris franchement. Un point d'orgue au fait de nous avoir déstabiliser physiquement en nous plaçant sur scène, puis affectivement en ne nous ayant donné aucun grain imaginaire à moudre pour enfin terminer par nous ébranler cette fois très concrètement en nous insultant, nous donnant le dernier petit coup à une morale sur laquelle personne n'est dupe.

Etonnants transports


Vite, fixer le bonheur avant qu'il ne se sauve, avant de lire trop de critiques, avant d'être galvaudée. A première vue, Drive appartenait à la catégorie des films de bourrins, avec effets spéciaux et surtout sans aucune profondeur. La faute au titre, à l'affiche, à quelques scènes de la bande annonce. Cela m'évoquais Fast and furious (quand j'y pense, quelle honte). Je me rappelle avoir dit à Monsieur Caouic, au cinéma, "ce n'est pas pour moi". Et puis j'ai vu Kavinsky dans la bande originale et j'ai lu quelques critiques. Celle de Télérama d'abord, je crois, et je me frottais les mains d'avance en imaginant ce que le journaliste allait pouvoir trouver pour transmettre son ennui profond à la projection. Et bah pas du tout. Pareil pour les Inrocks, pour qui l'acteur principal est même le nouvel it-boy d'Hollywood !
A la faveur d'un après-midi coincée à la maison pendant que deux messieurs font des travaux chez moi, je traîne à chercher des épisodes de Desperate Housewives et puis je tombe sur Drive. Je suis curieuse. Et hop. Première scène époustouflante, à la fois calme et nerveuse. Presque sans dialogue. Sombre, urbaine, interlope. A la Michael Mann, comme j'ai pu lire par la suite. Film d'action ? Film violent ? Oui. Mais aussi : film sentimental, film contemplatif, film sensuel. Oui, avec une vraie tension sexuelle quand la scène la plus hot (et l'une des scènes clé) figure un baiser dans un ascenseur juste avant un déchainement de violence rare. 
Et puis la musique. Ethérée, eighties, douce, presque irréelle, onirique. La police de caractère choisie pour le générique de début et de fin nous replonge lui aussi dans les années 80, et puis tiens, finalement, quand se passe l'action, au juste ? Peu importe. Le personnage au centre de cette histoire est intemporel, presque immatériel lui aussi : sans passé, sans vraiment de dialogue, sans expression et pourtant... Il n'a pas de nom, je crois, à moins que celui-ci ne m'ait échappé. Il semble tendre vers une normalité que peuvent lui offrir une belle voisine et son enfant charmant. Et même cette pauvre histoire d'amour n'est pas mièvre quand on est dedans. 
Parce que les choses ont changé. Je vois pas mal d'articles sur la virilité ces derniers jours : Refn, le réalisateur, a imaginé là une nouvelle sorte d'homme, aux confins du sentiment et de la douceur d'un côté et de la froideur et de la violence de l'autre. Sur le papier, cela paraît impossible à incarner. Et bah si. Ryan Gosling y parvient avec un naturel lointain et mutique désarmant.
Finalement, à y repenser, tout dans ce film tient du film d'animation pour adultes ; je peux sans peine me remémorer plusieurs scènes en dessinant les plans mentalement. C'est que ce personnage de driver roule sur le fil entre rêve et réalité, entre romantisme et action, entre douceur et brutalité. Il a tout du superhéros englué dans une vie banale le jour et extraordinaire la nuit. Sauf que lui voudrait sortir de sa nuit.

Constantin superstar !


L'autre soir, le prix Constantin a été remis au musicien le plus prometteur de l'année, dans la catégorie Nouvelle Chanson française... C'est la dixième année que la cérémonie rassemble du beau monde à l'Olympia. Ses sélections sont immanquablement une compilation - non exhaustive certes - de ce qui existe de mieux à écouter, à découvrir, à vibrer. Une manière de rendez-vous annuel avec mon Grand Ami, en tous cas. Il y a en a toujours un qui rappelle à l'autre que c'est bientôt, que c'est ce soir, qu'Untel que nous avons écouté en voiture y participe, qu'Unetelle n'y a pas sa place, etc. Cette année, le président du jury (Constantin, c'est un peu comme Cannes), c'était Gaëtan Roussel. Qui aurait pu figurer dans la sélection l'année où il a sorti Ginger...
A part la première lauréate en 2002 (Avril), portée disparue depuis, tous les autres artistes à avoir soulevé le trophée ont eu un parcours intéressant : Mickey 3D (textes sombres, mélodies accrocheuses, un visionnaire), Cali (fou et engagé, un digne représentant de la variété des années 2000), Camille (une pépite dont je ne me lasse pas, une artiste de la voix au-delà des modes et des pudeurs), Abd Al Malik (slameur philosophe, un sage du rap), Daphné (voix sucrées et mélopées faussement enfantines, attachante), Asa (sensation plutôt reggae et soul, easy listening avec du lourd derrière), Emily Loizeau (mon autre préférée, une bricoleuse de la folk, dont les chansons ressemblent à des souvenirs d'enfance, dont on ne peut ni se lasser ni se départir), Hindi Zahra (show girl orientalisante, réalisant avec bonheur un mélange des genres musicaux, sensuelle et totale)... et Selah Sue avant-hier. 
J'avais plutôt pensé à L pour repartir avec le prix sous le bras, L qui avait fait la couv de Télérama et des Inrocks, et dont même France Inter ne trouvait plus les qualificatifs pour lui tresser des louanges. Et bah non. C'est la candidate du buzz, du carton radiophonique, du peuple pourrait-on dire, qui l'a remporté. Et ce n'est pas plus mal. Mais attention,Selah Sue n'a pas vendu son âme à NRJ, hein ! Quand je la dis popu, c'est que les mélomanes se la sont appropriée et ont fait fonctionner à pleins tubes le bouche-à-oreille. Je me rappelle les semaines précédant et suivant son passage dans une salle de concerts rouennaise, il y a quelques mois : "J'ai pris des places pour Selah Sue" ; "Tu y vas, toi ?" ; "Quoi ? Tu connais pas ?" ; "Une voix formidable" ; "Elle va faire un carton" ; "On n'a pas fini d'en entendre parler" ; "C'est soul et groove à la fois", etc. Un titre diffusé en radio l'atteste : Raggamuffin, un nom assez cohérent avec la teneur de la chanson en question : link Si blonde, si blanche, si fragile apparemment : où va-t-elle chercher cette voix profonde, à la fois sixties et black, ce groove, cette façon de bouger et puis cette choucroute aussi ? Peut-être dans son goût pour Lauryn Hill (c'est donc cela, la voix...) et son travail avec Jamie Lidell (c'est donc ça, le groove). Cela dit, et puisqu'il faut bien critiquer, on regrettera une fois de plus que le concours, ouvert aux chanteurs francophones, couronne une nana qui a du mal à aligner trois mots de bon français, et même d'anglais courant quand bien même elle chante dans la langue de Shakespeare ! On ne lui en veut pas, elle est Belge et c'est très bien comme ça, mais bon... Un prix de chanson francophone, vraiment... Je me sens méchamment réac, là, alors je passe à autre chose.
Quid des autres concurrents ?
Alex Beaupain. Un chouchou de longue date. Mais que venait-il faire dans cette sélection ? Il n'a plus rien de l'outsider, cet élégant éternel jeune homme abonné aux bandes originales des délicieux films de Christophe Honoré ! Tous les deux cultivent une légèreté mâtinée de drame, comme une nostalgie bien arrimé ou un romantisme made in années 2000, qui prendrait ses racines dans les années 80. Beaupain, c'est ça link et aussi ça link Ça tord le coeur, ça rappelle des tas de choses personnelles, ça transporte. C'est doux-amer, c'est comme la vie.
Brigitte. Un duo de nanas qui n'ont froid ni aux yeux ni aux oreilles, qui figurent une manière de féminisme actuel sexy, glamour, indépendant et assumé. On a entendu Battez-vous jusqu'à plus soif depuis le printemps, sans s'en lasser. Elles aiment les accessoires dans leurs clips, ainsi que mettre en scène de beaux garçons objets. Sans que cela ne paraisse vraiment cruel ou revanchard. Enfin je trouve... Jugez par vous-mêmes : link Pour élaborer leur album, les belles ont su s'entourer : Albin de la Simone, Camille Bazbaz ou encore Gush que ma Coucouque aime tant. Du beau monde au balcon ;)
Cyril Mokaiesh. Pour moi, c'est l'intrus. Malgré des chroniques plutôt bienveillantes ici et là, je ne parviens pas du tout à accrocher à cette belle gueule qui se veut écorchée, révoltée. Ni son propos ni sa musique ne me touchent. Il a remué un peu son monde (les Inrocks et Inter, mes bibles, pourtant) avec sa chanson intitulée Communiste. Ce serait révolutionnaire de faire un tel titre ? Je ne pense pas. Pour moi il tend vers Brel, Ferré, Cantat, sans s'en approcher bien sûr. Il voudrait représenter une chanson sociale, engagée, mais je n'arrive pas à le trouver pertinent, crédible. Désolée, Cyril, pour ton Communiste à drapeau rouge déployé avec un air désespéré : link Rien à voir mais il a été champion de tennis quand il était encore plus jeune ; de là son goût pour la lutte, la compétition ? Bof.
Lisa Portelli. Au début, il y a quelques notes de guitare qui donnent déjà envie de courir dans l'herbe en pleurant un peu. Et puis sa petite voix de gamine. Qui déclame comme une aïeule chuchoterait, au soir de sa vie. Pas envie de la classer, la Portelli (on dirait un patronyme de cantatrice). Sa chanson Les Chiens dorment, c'est juste une merveille sensible, intemporelle, un petit miracle pour ceux qui croient avoir tout entendu et tout ressenti : link Remarquez, elle en a déjà fait, du chemin, sous ses airs de jouvencelle. Elle perce enfin avec cette chanson, son album Le Régal et cette nomination au prix Constantin. Et pour moi, ce n'est que justice. Je la plaçais en deuze dans mon top de récompensables cette année. 
Sly Johnson. Alors là attention, nouvelle scène française : voilà un soulman, un funkyman pur et dur. Pas possible de le cacher : ses rythmes, sa voix, ses choeurs, tout ça et le reste viennent de loin, de très loin même quand on se rappelle qu'il était l'un des piliers de Saïan Supa Crew, si fameux qu'on l'appelait, à l'époque de ma Coucouque, "le Saïan" tout court. Il a troqué le rap à refrains chantés pour un groove efficace, avec des trompettes, le genre de truc qui fout les poils au garde à vous et fait bouger la tête, les hanches et les genoux sous le bureau. Vous ne me croyez pas ? Ecoutez plutôt : link Et puis le monsieur a aussi collaboré, entre autres Camille, Rokia Traoré ou encore Oxmo Puccino, avec Eric Truffaz s'il vous plaît, sur un album mêlant trompette et beatbox, son rayon : link
Bertrand Belin. C'est l'indé de la bande. Il n'a jamais fait de prime time ni de une, il a ses habitudes entre les pages des Inrocks. Dans un genre bien à lui, il fait partie de la famille de Nosfell, JP Nataf, Barbara Carlotti et consorts. Il gratte tout ce qui se gratte : guitares, banjos, etc. et a gratouillé pour Bénabar, en son temps. Voix grave, mélodies tranquilles. A écouter par un froid après-midi d'automne au coin du feu avec un chat ronronnant sur les genoux. Là aussi, pour le jeune premier tout frais sorti de son garage ou de son conservatoire de province, on repassera. Mais après tout, il n'en est qu'à son deuxième album solo, si je me rappelle bien... : link
Cascadeur. Alors là je suis contente. Non seulement parce que j'aime beaucoup Walker, mais parce qu'en plus, il va passer dans ma ville au printemps prochain, en première partie d'Arthur H. Mais je ne risque pas de le reconnaître si d'aventure il part se balader dans ma cité balnéaire : car c'est un personnage, celui-là, dans tous les sens du terme, ce qui inclut donc un costume. En l'occurrence, il porte un casque de moto un peu rétro qui lui cache tout le visage. Il y a du rêve d'enfant qui est resté bien ancré dans ce garçon-là, probablement un peu trop pour qu'un prix comme le Constantin lui soit décerné, je trouve... link
L. La voilà, la litanie de la looseuse louée largement ici et là... C'est avec Petite (link) qu'elle a sidéré, envoûté, estomaqué. Musique, choeurs, arrangements, et puis surtout ces paroles poétiques qui s'éclairent à mesure que la chanson avance jusqu'au choc final... Du coup tout son album s'écoute à la lumière de cet engagement, de cette ombre particulière servie par une voix claire et appuyée, par hexa ou octosyllabes... Finalement, elle dénonce mieux que Cyril Mokaiesh, je trouve. En s'inscrivant parfaitement dans ce qu'on peut appeler la chanson française.
The Shoes. Bon. Alors eux ils cumulent. Non seulement ils chantent en anglais, tous Rémois qu'ils sont, mais en plus pour eux, ça marche dans la Perfide Albion ! Ils ont bossé avec Yuksek mais aussi avec Shakira, enfin bref c'est la hype totale pour eux outre-Manche. Ont-ils vraiment besoin d'une reconnaissance en France telle que le prix Constantin . Evidemment non. Je dirai même plus que ce qu'ils créent, construisent, imaginent, partagent, a déjà depuis longtemps dépassé nos petites frontières (assumées et valables cependant) : link. Le soir du prix Constantin à l'Olympia, cela ne m'étonnerait pas qu'ils aient été en train de mixer dans une salle londonienne...
Et voilà. Qui que vous soyez, si vous êtes parvenus au terme de ce si long débriefing personnel, s'il vous plaît laissez un commentaire, un ajout, un lien, quelque chose ! Mon seul écho m'afflige et m'ennuie. A très bientôt et longue vie au prix Constantin !