C'est un virus attrapé entre les pages du best seller de Cormac Mac Carthy : depuis la lecture des premières pages - addictives, j'ai lu le livre en trois fois - ça me colle à la peau, ça occupe le temps entre le moment où on éteint la lumière et celui où je m'endors, ça peuple parfois mes rêves et ça me revient même dans la journée au coeur des journées ordinaires. C'est suintant, collant, pesant, récurrent, rémanent.
Alors que je viens de refermer le livre, en pleurs, ça a explosé. Une manière de pirouette dans les dernières pages, qui plombe mais laisse enfin l'espoir de voir des ailes repousser dans des pensées absolues de désespoir.
Qu'y a-t-il à raconter de ce livre ? Comment faire un pitch quand tout a disparu : histoire, décor, intrigue, personnages même... Ils sont deux et ils représentent tout, depuis les dieux jusqu'aux diables en passant par les prophètes, ils sont les premiers et les derniers hommes, ils sont proies et prédateurs, traqués et traqueurs. De quoi sont-ils rescapés ? A vrai dire on ne se pose plus vraiment la question au bout de quelques pages. C'est un monde post-apocalyptique qui les voit évoluer. Le passé a disparu, il n'y a aucun futur possible. Et pourtant, le coeur du lecteur ne bat que pour ces deux pauvres hères affamés et efflanqués. Pourquoi tourner les pages encore ? Pourquoi voir tous les espoirs figurés par la découverte d'une cave bien fournie en conserves, par exemple, ruinés immanquablement par le spectacle d'humains dévorés par leurs homologues, mais continuer tout de même l'aventure de la lecture ? Peut-être pour, virtuellement, les mêmes raisons qui poussent le Père et son Fils à avancer encore sur la Route, au mépris du chaos.
Ecrit sans concession, sans mélo, sans emphase aucune, brutalement, le livre fait pourtant sans cesse écho à l'émotion. Surtout par le prisme de l'Enfant, le Petit. Dernière goutte d'humanité dans un monde qui s'en trouve dépourvu. Le Petit a pris pour moi, sans que je le veuille, les traits d'un enfant que j'aime. La lecture n'en a été que plus sensible, écorchée même.
Aurai-je le cran de regarder le film, à présent ? Il le faudrait. Plus que le risque d'être déçue par la transposition au cinéma, je crains l'étrange douleur ressentie en lisant. Sera-t-elle plus mordante, avec l'image et le son ? Je ne sais pas. Mais il faut que je voie le film. Je le dois à ce sentiment gluant et recouvert de cendres, échappé des pages du livre : je le dois à mon humanité ! Car enfin, finalement, de quoi est-il réellement question entre ces pages ? De la relation entre un père et son fils, éperdue d'amour, de transmission de valeurs, de volonté à poursuivre une certaine idée de la dignité, du vouloir-vivre à tout prix, y compris si tout a perdu son sens. Au-delà de l'émotion première, rendue par des dialogues désarmants de simplicité, il y a des degrés "supérieurs", symboliques, où toutes choses sont des indices : la route, le caddie de supermarché dans lequel ils traînent les affaires glanées ici et là, le rythme des repas ou des non-repas, la cendre partout, les objets techniques abandonnés et empreints d'inanité... Chaque scène se change en image mentale qui en appelle d'autres, le tout à l'aide d'un récit extrêmement basique. Suggérer énormément avec "peu", voilà peut-être ce qui a valu à Cormac Mac Carthy de remporter le prestigieux prix Pulitzer en 2007...
Et pour finir, pas de musique. Rien que le silence pour se figurer l'étrange tumulte d'un monde où tout est mort.
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