J'avais des sous dans la poche et je cherchais un livre pour offrir. J'ai acheté le dernier Philippe Delerm, Le Trottoir au soleil, en souvenir des bons moments passés avec ses précédentes compilations de moments universels et intimes à la fois. Je l'ai lu avant de l'offrir. Est-ce que c'est malvenu ? Le livre est intact mais moi je me sens un peu déchirée de ne pas avoir pu le ranger avec les autres, les miens. Enfin peu importe.
A vrai dire je me suis un peu étonnée qu'il... écrive encore sous ce format-là : que dire encore ? Que trouver d'un peu nouveau, original, non encore lu ? Hé bien Philippe Delerm surprend en allant fouiller ses sujets sous la surface des choses douces, simples et immédiates qu'il affectionnait jusqu'alors (et nous aussi). Je veux dire : l'auteur parle de sensualité, de sexe au-delà des métaphores (motif de la figue redondant), il évoque dans un magnifique paragraphe sa mère disparue dont la présence silencieuse et attentive manque tellement, il propose son statut de jeune grand-père. Il va même là où, probablement, tous ses lecteurs, aficionados comme détracteurs, l'attendaient en secret : sur la justification de son écriture sur ce que l'on a injustement qualifié de "petits plaisirs de la vie" (alors que c'est tellement plus que cela). Cela prend place au coeur de l'ouvrage : il faisait la vaisselle, avec France Inter. Une émission délicate. Une déclaration au détour de ce moment de trivialité pure en apparence. Et voilà l'évidence éclatante de la nécessité de son oeuvre globale. Une femme témoignait sur la maladie de sa fille autiste, décédée depuis après de longues souffrances. Elle a entrepris l'écriture d'un livre comme pour se raccrocher à un projet de vie. Et elle explique que lorsqu'elle s'y est mise, les seuls moments qui lui revenaient "étaient les bons moments". Delerm, qui écoutait l'émission avec la culpabilité de celui qui gribouille ses petites non-histoires, a dû se sentir là très proche de cette dame qui lui servait là une raison de continuer à écrire, d'en être fier et assuré de sa nécessité.
Plus loin dans la lecture, c'est une rencontre fortuite avec une étrangère qui vient le héler alors que (rebonjour trivialité) notre Delerm père fait la queue pour acheter un billet de train. La femme livre là en deux phrases rapides qu'elle relit ses livres depuis la mort de son mari, quelques semaines auparavant. "C'est le détail qui me fait tenir." Et l'auteur nous offre cela. A mon avis c'est un geste essentiel pour Delerm, qu'a accompli cette veuve pleine de vie : venir se confronter à lui dans un élan un peu brusque et gauche parce que mal assuré, livrer une bombe avec ce mot "détail" qui permet à l'écrivain de ramener à des proportions plus confortables pour sa modestie innée, la bombe en question.
Finalement, c'est sûrement là son livre le plus personnel. Plus encore que les instants suspendus qu'il vit puis raconte comme personne, là ce sont aussi des épisodes moins universels, ceux d'un écrivain face à son oeuvre et à ses lecteurs. Il écrit "je", il parle de son enfance, aussi, et de sa rencontre avec son épouse Martine (une femme injustement dans l'ombre de ses hommes archiconnus). En fait, "à 60 ans passés", la vie s'adoucit, d'où l'image du titre, une métaphore encore. L'écrivain, lui, s'apaise et assume davantage, je pense. C'est réussi. C'était une délicieuse lecture de samedi soir sans rien de prévu, assez rare pour être souligné plusieurs fois en fluo et goûté avec délectation.
Je connais Martine et Philippe Delerm, ils m'ont reçue chez eux, et puis on s'est croisés plusieurs fois. Ce sont des souvenirs doux et simples, sur lesquels il n'y aurait rien à raconter d'exceptionnel. A moins d'avoir assez de talent et d'humanité pour en extirper la substantifique moelle et les rendre universels...
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