Pour pénétrer le monde de Terrence Malick, je préconise de découvrir son Nouveau Monde d'abord. Tout y est, déjà, de ce qu'il portera à son ultime apogée dans Tree of life. Son Nouveau Monde est plus accessible, plus narratif, moins hermétique peut-être. C'est l'histoire de Pocahontas, même si l'on ne découvre son nom que dans le générique de fin. Elle incarne toute la saveur de ce film époustouflant : de cette nature originelle et verdoyante qui l'a vue naître et qui lui a constitué un berceau, elle a la beauté, la pureté, l'absolu, l'innocence mais aussi la force, l'abnégation, une quasi-immortalité pourrait-on dire. L'actrice crève l'écran, pose sur tous les plans une poésie infinie, une profondeur ésotérique autant que terrienne...
Ainsi que me le faisait si justement remarquer Monsieur Caouic, une fois la télé éteinte et mes larmes d'émotion séchées - par ses soins attentionnés - ce Nouveau Monde est multiple : c'est celui, dur et hostile, des colons américains à la recherche des Indes ; c'est celui que découvrent les Indiens qui ne connaissaient pas jusqu'alors la cupidité, la possession, le mensonge ; c'est la passion dévorante que découvre Pocahontas/la Princesse qui la fera bannir de son village, des siens ; c'est celui dans lequel s'engage le capitaine Smith (un patronyme extrêmement commun) dans la route des Indes, dans l'ambition que lui permet l'époque, dans le rêve éveillé qui se joue dans une forêt des origines mais auquel il tournera le dos ; c'est enfin, encore pour la Princesse, le chemin d'amour construit jour après jour avec son mari qu'elle épouse d'abord par devoir après lui avoir demandé s'il était gentil, puis dont elle découvre l'exceptionnelle qualité humaine vers la fin du film. Il a rassemblé les conditions pour qu'elle revoie son bel amant disparu, mais cette entrevue lui fait réaliser que la passion n'est plus, qu'elle peut vivre autre chose de plus pérenne et constructif, de plus tangible et réel avec son époux dont elle devient aussitôt amoureuse... Elle accourt vers son mari qui se morfond, prend son bras puis glisse sa main dans la sienne, l'appelle "Mon mari" dans un sourire éblouissant. Ce moment est d'une grâce infinie, d'une émotion indicible. Elle sait précisément à ce moment ce qu'est l'amour, elle tourne la page de la passion juvénile et est prête pour la sérénité d'une histoire à écrire à deux dans le respect et l'admiration mutuelles. J'ai dû grandir et mûrir moi aussi, pour aujourd'hui être tellement touchée par cette seconde histoire d'amour et plus par la première du film...
Une phrase restait en moi pourtant : lorsqu'on lui annonce la mort de son bel amant le capitaine Smith, elle touche le fond. De la plus éclatante manière. Dans l'humilité du désespoir elle reste admirable... Elle se dit (les voix off sont une caractéristique des films de Terrence Malick) : "Tu es parti avec toute ma vie, tu as tué le dieu en moi". Tu as tué le dieu en moi. Oh mon dieu... C'est exactement ça. Comment croire, pourtant, que ce dieu est bel et bien mort ? Une illusion ? Une renaissance postérieure ? Une méprise sur la véritable essence de ce dieu intime ?
Je ne sais toujours pas, mais je continue de réfléchir, comme après le visionnage sensible de tous les films de Malick. Je serai encore pour quelques jours mentalement dans des herbes folles, contre le tronc d'un arbre centenaire ou dans une rivière fraîche jusqu'aux genoux, à dessiner avec mes bras et mes mains des hommages à mère Nature...
Et puis une autre citation du film, dans la bouche cette fois de l'Américaine qui a en charge l'éducation de la jeune Princesse avant qu'elle ne soit baptisée Rebecca : elle coiffe ses cheveux et, dans ce moment d'intimité féminine, lui explique que, comme les arbres, nous continuons à pousser vers la lumière quelles que soient les embûches du destin. Une belle image qu'on pourrait croire empruntée à l'imaginaire indien. Et pourtant... Une belle image où il est déjà question d'un arbre et de la vie... D'un arbre de vie, d'un Tree of life, quoi...
"Qui es-tu ?", s'interrogent successivement les voix off des personnages. Je suis celle qui est passée d'un monde à l'autre, à l'extérieur et à l'intérieur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire